Tunisie: l'islam ne sera pas la religion du peuple

Tunisie: La révolution tunisienne se poursuit. La source principale de la législation ne sera pas constituée des textes sacrés de l’Islam et celui-ci ne sera pas la religion du peuple. Les amendements en ce sens ont été rejetés et le parti islamiste tunisien Ennahda a dû renoncer à sa volonté d’inscrire la Charia dans la Constitution. C’est un pas en avant pour les défenseurs des droits humains, une victoire bien méritée pour la société civile tunisienne. En revanche, c’est un grand échec pour les islamistes. Même en cas de victoire aux prochaines élections, Ennahda ne pourra pas appliquer son projet de société, en tout cas pas dans son état initial. Il ne pourra pas gouverner la société sur la base de textes juridiques découlant de la loi coranique comme il aurait si bien aimé le faire.

Le rejet de la Charia en Tunisie était prévisible

Les Tunisiens, faut-il le rappeler, ont compris la nécessité d’aller de l’avant, de cultiver la tolérance, de respecter les libertés individuelles et collectives. L’ancien président Habib Bourguiba avait compris la nécessité de laisser quelques marges de liberté à ses concitoyens. Son pays était le plus libéral de la sous-région maghrébine. Avec l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, ces marges de liberté ont été revues à la baisse. En lieu et place de ces quelques acquis, il a instauré un Etat policier. Cette perte quasi totale de liberté, les Tunisiens ne pouvaient que la vivre mal. Ils avaient goûté à une liberté, si infime soit-elle, avant que celle-ci ne leur soit retirée.

Le rejet de la Charia en Tunisie était du reste prévisible au regard du combat que les populations ont récemment mené au nom de leurs libertés, mais aussi au regard de ce qui se passe en Egypte voisine. En effet, les travers des Frères musulmans, dès qu’ils ont accédé au pouvoir, ne sont pas sans effet sur la perception des populations du Maghreb sur les religieux fanatiques. Leur extrémisme, qui a plongé l’Egypte dans la nouvelle et meurtrière crise d’où elle peine à s’extirper, ne plaide pas en faveur des islamistes. La disgrâce dans laquelle sont tombés les Frères musulmans d’Egypte, suite à leur aveuglement, a certainement fait réfléchir Ennahda. Le parti islamiste a dû tirer comme conséquences que plus rien ne se fait en vase clos et qu’en ce qui concerne les révoltes populaires, c’est le phénomène des vases communicants qui fonctionne dans les pays arabes. Il a certainement compris qu’il n’était pas à l’abri de ce qui est arrivé aux Frères musulmans. Ce n’est plus vraiment le printemps des régimes théocratiques. Le vent de la liberté qui souffle sur le monde laisse peu de places à ce genre de régimes. La laïcité et la liberté des peuples sont devenues des valeurs non négociables dans bien des pays. Au regard même des limites dont les pouvoirs théocratiques ont fait et font montre dans l’histoire de l’humanité, notamment le peu d’égards qu’ils ont pour la liberté de l’Homme, il est surprenant que des partis politiques en fassent encore leur objectif fondamental dans un monde où la liberté humaine et la tolérance sont des principes cardinaux.

Avec ce rejet de la Charia que l’on peut qualifier de rétropédalage salutaire, s’ouvre une nouvelle ère démocratique pour la Tunisie

En tout état de cause, il faut se féliciter de cette « sagesse », fût-elle contrainte, des islamistes tunisiens qui ont su ne pas trop tirer sur la corde au moment du vote des articles clés. En effet, cette attitude d’Ennahda, qui a su faire profil bas sur un sujet aussi fondamental que celui-là, qui n’a pas été jusqu’au-boutiste, est à saluer. Ce parti a su faire sienne une sagesse de chez nous qui dit en substance que quand tu marches d’un pas imposant, avec beaucoup de bruit, n’oublie pas qu’il y aura des moments où il faudra savoir te déplacer à pas feutrés. Il y a des moments et des situations où on ne peut pas se passer des compromis utiles. C’est cela aussi la sagesse. Savoir reculer, changer son fusil d’épaule quand le contexte et les circonstances le commandent.

C’est une nouvelle victoire pour le peuple tunisien. Il est connu que ce pays s’illustrait déjà par son avance sur certains sujets par rapport aux autres Etats de la zone. En effet, grâce au combat de sa société civile, notamment des femmes, il était déjà le seul pays arabe où la polygamie est proscrite.

Avec ce rejet de la Charia que l’on peut qualifier de rétropédalage salutaire, s’ouvre une nouvelle ère démocratique pour la Tunisie. Le pays continue sa marche triomphale vers la lumière et la liberté. Une fois encore, tout comme pour le printemps arabe déclenché par le geste de désespoir de Mohamed Bouazizi et la révolte y consécutive du peuple tunisien, il ouvre la voie. Pourvu que son option pour la liberté et la tolérance se répande comme une trainée de poudre chez ses voisins et bien au-delà, qu’elle inspire plus d’un pays. | Article publié dans Le Pays

Egypte et les Frères musulmans : un chemin sans issue

«Qui paie, commande" et ici ce sont les Etats-Unis qui ont fourni 1.500 millions de dollars (environ € 1.168.000) par an à l'Egypte et son armée en aide militaire et économique, ce qui en fait le deuxième le, plus bénéficié de l'aide après Israël. Les soldats qui viennent d'effectuer un "coup d'Etat" reçoivent aussi de l'argent de l'Arabie saoudite et contrôlent le 25% de l'économie du pays. Washington, à son tour, attend des dirigeants des pays africains d’être en mesure d'apporter la stabilité interne au système (même si elles utilisent les méthodes de l'Arabie ou Mubaraki), la loyauté à l'extérieur envers les intérêts stratégiques de l’Amérique et surtout de ne pas déranger le voisin israélien. Le péché de l'ancien président Mohamed Mursi fut son incapacité à assurer l'ordre interne. en 2012, la continuité des manifestations de divers secteurs de la population, aboutissant à recueillir 20 millions de signatures par le mouvement Tamarod (désobéissance), dirigé par El Baradei et d'autres personnalités, contre les politiques de Mursi, a offert une occasion en or à l'armée et au Pentagone pour empêcher que les manifestations de la place Tahrir prennent un ton anti-américain, de nombreuses affiches ont blâmé les Etats-Unis, notamment son ambassadeur Anne Patterson, pour avoir protégé Mursi et aussi d’avoir été responsables des calamités qui se passent dans le pays. Les soldats accusés de violations flagrantes des droits de l'homme ont réagi rapidement, des démocrates ont été introduits, accomplissant les désirs des protestants.

Obama évita de définir ce qui est arrivé comme un «coup d'État» dans son discours pour deux raisons: la loi l'empêche d'aider un pays dont le gouvernement démocratique a été renversé par une frappe militaire ou un décret, et il n'a pas voulu que les Egyptiens se rendent compte qu’il est derrière une action militaire.

Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis agissent contre un gouvernement installé par eux-mêmes: les moudjahidin afghans ont chassé les talibans et ont imposé leur enlèvement, non pas pour leur barbarie, mais plutôt en raison de leur incapacité à assurer l'ordre nécessaire dans un pays clé comme l'Afghanistan.

Finalement, il n'y avait pas de gouvernement souverain en Egypte

En 2011, Obama, avant la chute de Moubarak, avait trois alternatives: l'armée, favorite de l'Arabie saoudite et d’Israël; les Frères musulmans, avec lesquels les Etats-Unis ont des liens étroits depuis 1940; et son choix presque personnel, Mohamed Al Bardie, le Nobel de Paix. Le premier était impossible pour les revendications démocratiques d'un peuple révolté. Le troisième rencontre des résistances chez les Israéliens qui l’ont souvent stigmatisé comme un «agent iranien", en insistant sur le caractère civil du programme nucléaire de l'Iran quand il était directeur de l'Agence de l'énergie atomique, et pour avoir affirmé la nécessité de réviser l'accord de Camp David. Seulement Les Frères musulmans sont restés, avec lesquels Obama avait déjà un premier et placide contact à Al Azhar (erreurs d'Obama au Moyen-Orient), où il a prononcé un discours qui mettrait fin à la politique de Bush d'envahir les pays musulmans avec des ressources (une promesse non tenue ).

Enfin, une cohabitation "de style égyptien» a été choisie entre l'armée et les islamistes qui, pour l'instant, auront une fin. Actuellement, la priorité est d'empêcher une guerre civile sur les frontières d'Israël pour garder le contrepoids de l'Iran dans la région, et de trouver un visage amical à la dictature militaire.

Les Etats-Unis, par le général al-Sissi, chef de l'armée et homme religieux nommé par Mursi, et sur le nom du peuple égyptien, ramène les rênes du pays sans mettre les «bottes sur le terrain». Le rôle de plusieurs milliers d'agents de la CIA et d'autres services de renseignement occidentaux se déplaçant dans et hors du palais présidentiel à Héliopolis sont exposés à la vue de tous.

Garder la menace de la grève militaire a été l'un des instruments d'Obama pour mettre de la pression à Mursi, tout en empêchant le Fonds monétaire international de lui accorder les 4.800 millions promis et 5.000 autres millions d'euros de l'Union européenne. Maintenant, il peut ouvrir le porte-monnaie et lâcher les millions de dollars qui sont nécessaires pour pousser le développement dans sa «nouvelle Egypte». Il est tout à fait scandaleux de voir comment nous pouvons manipuler un peuple qui est entre une épée et un mur ... Les interventions militaires en politique sont tellement anti démocratiques et dangereuses comme si elles étaient jouées par des forces religieuses. L’éducation des deux forces, qui sont présentées avec de fausses intentions "supra classistes" s’appuient sur des méthodes autoritaires et d'exclusion.

Mohamed Mursi, Egypte et les Frères musulmans

ancien membre du parlement de Moubarak qui, avec son organisation, est venu tard à la révolution égyptienne, mais a utilisé son impulsion et appliqua des idées d'une autre époque à une société avide de démocratie économique et politique, n'a pas pris note de quelque chose de primordial: qu'il avait le vote de seulement 51% de l'électorat et que certains des votes au second candidat, Ahmed Shafiq, un membre de l'ancien régime, étaient pour ne pas voter pour lui. Quelque chose de semblable s'est passé en Iran en 1980, lorsque l'ayatollah Khomeini, face à des critiques acerbes envers sa proposition d'installer une république «islamique», a rejeté la proposition de la majorité qui était de créer la «République islamique d'Iran» et aussi la «République démocratique islamique d'Iran», conçue par les islamistes modérés. Il a appelé à un référendum avec seulement deux options, «La République islamique: oui ou non?», dans un climat où le «non» a été interprété comme soutenant le régime dictatorial du Shah déchu. Le "oui" a évidemment gagné, même s’il y avait ceux qui n'ont pas été entendus et qui ont déclenché une terrible guerre civile qui a duré plusieures années. L'auto-tromperie apporte des conséquences désastreuses.

Mursi, et les frère musulman

Mursi, en tant que frère musulman qui a confondu gouverner un Etat complexe dans le XXIe siècle avec la distribution de la charité dans les bidonvilles, ne pouvait pas installer une démocratie. Raisons: ses limites idéologiques et l'appartenance à l'élite, leur vision déformée de la politique (un califat totalitaire pour l'Egypte), son incapacité à créer au moins le sentiment d'amélioration, par exemple dans la gestion des problèmes quotidiens (tels que la collecte des ordures, l'approvisionnement en eau et en électricité ou encore la sécurité sociale). Il a hérité un pays en faillite aux graves problèmes structurels tels que le taux élevé d'analphabétisme et de naissance, tout en faisant face aux attentes démesurées d'un peuple qui ne pouvait plus attendre, alors que sa tentative d'islamiser le pays était trop pour les séculiers (qui craignaient la talibanisation du pays) et peu à leurs alliés salafistes qui l'ont abandonné, en soutenant le "coup d'Etat". A cette corruption s’ajoute un favoritisme absurde de nommer comme gouverneur un membre du groupe terroriste Jamaa Islamiya, qui a participé à l'attaque de 1997 sur l'Al agsar (Louxor) tuant 58 touristes. Les Frères musulmans, qui avaient déjà les minorités religieuses contre eux, les athées, les séculiers, les restants de l'ancien régime, les travailleurs (qui en un an ont organisé une centaine de grèves), ils ne pouvaient pas faire plus pour se gagner des ennemis.

Comme nous l'avons souligné, le président Obama, après sa réélection, remodèle l'équipe de la défense et de la politique étrangère, sans pour autant aller trop loin du soutien américain traditionnel pour les groupes islamistes, militaires et civils. Parfois, il les voulait dans un pack de 2 x 1: modèle militaire Pakistanais islamiste.

La rébellion des talibans

L'assassinat de son ambassadeur en Libye aux mains des fondamentalistes qu’il installe à la place de Kadhafi, ou l'assaut contre l'ambassade israélienne au Caire par les Frères musulmans et les salafistes l’ont dissuadé à éviter de tels groupes pour atteindre le pouvoir en Syrie –frontières d’Israël-, les privant des armes lourdes. Il a ensuite félicité le nouveau président de l'Iran, salué par les médias occidentaux comme «modéré» (rappelez-vous que lors des manifestations de millions d'Iraniens contre la fraude électorale de 2009, Obama a envoyé une lettre de félicitation à Ahmadinejad), et avant de retirer le soutien à Mohamed Mursi, il a forcé la démission d'un autre «frère», le cheikh Hamad Al Thani, l'émir du Qatar, pour entraver leurs plans sur la Syrie ou bien ouvrir un bureau du Hamas sur place. Le cheikh était un fervent partisan des mouvements islamistes, dont les Frères musulmans égyptiens. Il a financé avec ses pétrodollars la chute de Moubarak et injecté de l'argent pour la campagne des partisans Mursi. Ainsi le "coup d'Etat" égyptien a fermé la chaîne Al-Jazeera au Caire.

On espère qu’une nouvelle politique d'Obama anticipera les événements, faisant des changements depuis le haut dans certains pays de la région et des réformes, avant que la situation ne découle en «printemps» ou «démissions» de rois et de sultans dans l’Arabie saoudite, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Amman. Cette position favorise l'expansion du mouvement "Tamarod" à des pays comme la Tunisie, l'Irak, Bahreïn et la Libye.

Le gouvernement turc

– Proche des Frères musulmans-, aucun pays n'a pleuré la chute de Mursi. Arabie saoudite, Koweït, Emirats Arabes Unis, et même le nouvel émir du Qatar, Tamim Al-Thani, a félicité le président intérimaire égyptien, Adli Mansur. Pendant ce temps, l'Iran, déclarant "respect pour le peuple égyptien", n'a pas caché sa joie. Mursi n'a pas seulement affronté l'Iran dans la question syrienne, mais il a aussi tellement agité le climat anti chiites en Egypte que plusieurs fidèles de ce groupe au Caire ont été lynchés le mois dernier. Un autre relief est le président de la Syrie Bachar al-Assad: l'égyptien a ordonné de fermer son ambassade et a appelé à une intervention étrangère pour le déposer.

Israël, qui ne peut pas se plaindre de Mursi car elle respecte l’accord de Camp David et a détruit les tunnels de survie palestiniens le long de sa frontière avec Gaza, rêve de la normalisation des relations entre les deux pays, mais craint l'action du groupe islamiste à ses frontières. Satisfait que le Hamas -branche de la Fraternité musulmane- est devenu orphelin, avant de perdre la sympathie de l'Iran, pour lutter contre Damas. Contrairement à Hamas, le leader de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, qui a félicité l'armée égyptienne, montre à nouveau sa tête.

La désignation d'un gouvernement "technocrate"

- Exécuteur des mandats du FMI et de son autorité- comme prévu, va aggraver encore la souffrance du peuple et répandra le chaos dans le pays. La profondeur de la crise en Egypte est bien supérieure à son chaos politique. Seul un gouvernement de réconciliation nationale, y compris les Frères musulmans, pourrait être la première étape vers l'ordre et la démocratie.

Ce qui s'est passé n'est pas la fin des Frères musulmans. En Turquie, le gouvernement islamiste d’Arbakan a été renversé par un coup d'Etat militaire en 1980, ils ont gagné à nouveau les élections en 1995 et ont à nouveau été déposés en 1997, ils sont retournés en 2002 et ils sont maintenant entrain de juger ceux qui les renvoyèrent dans les années 80, tout en faisant face aux allégations de "désislamisation du pouvoir", non pas par les militaires mais par une place «Taqsim» outragée. L’exclusion d’une organisation puissante du jeu politique peut entraîner des scissions en son sein et même radicaliser des secteurs qui n'hésiteraient pas à prendre les armes.

Henry Kissinger a dit en 2011, à la chute de Moubarak: "C'est juste le premier acte d'un drame qui doit être effectuée". Que voulait-il dire?